© Lynn Theisen
Mémoire & Patrimoine

D’Millen asbl - Haut a Gëschter – Gëschter an haut : d’Dierfer vu Biekerech

Isabelle Bernard-Lesceux, historienne et coordinatrice auprès de l’asbl d’Millen raconte une radioscopie présente et passée des huit villages de la Commune de Beckerich réalisée avec le photographe Philippe Malaise.

Le projet

Le point de départ a été un travail photographique d’illustration du village de Beckerich organisé pour les 10 ans de la Millegalerie (la galerie d’art attachée à l’asbl d’Millen) avec, à la clef, une exposition à laquelle Philippe Malaise, le photographe de ce projet, a participé en utilisant la technique de rephotographie. Pour ce faire, il m’avait demandé mon aide pour lui fournir d’anciennes photos et cartes postales car une rephotographie, c’est photographier un même lieu à différentes époques. Les premiers résultats obtenus (une trentaine de montages) ont suscité tellement de réactions positives auprès des autres photographes et des visiteurs de cette exposition que Philippe m’a proposé de construire un projet beaucoup plus ambitieux : réaliser des rephotographies pour l’ensemble des huit villages de la Commune de Beckerich.

Pour moi, en tant qu’historienne, il était impératif de récolter les anciennes photos et cartes postales avant que tous ces documents ne disparaissent à tout jamais et, avec eux finalement toute une mémoire locale. Il y avait aussi une certaine urgence à identifier les lieux, à nommer les personnes et à se souvenir des traditions luxembourgeoises tant qu’il y a encore des témoins qui peuvent nous en parler et tant que certains bâtiments sont encore identifiables. J’ai donc accepté avec enthousiasme la proposition de Philippe.

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Au total, Philippe réalisera plus de 230 rephotographies sur les huit villages de la commune. Mais il n’a pas voulu pas s’arrêter là. Très vite, il a eu l’idée d’adjoindre à l’exposition de ses rephotographies au Centre polyvalent d’Elvange, les publications d’un beau livre avec ses rephotographies, de quatre brochures classées par villages et de cartes postales « à l’ancienne » ainsi que l’installation de 15 panneaux permanents placés « in situ » dans les différents villages de la commune. Impossible pour moi de ne pas adhérer à toutes ses propositions inédites et originales dans ma commune d’adoption. Ainsi est née une collaboration très positive entre deux personnes passionnées. Après avoir trouvé le financement nécessaire, nous pouvions donc nous lancer dans ce projet titanesque.

La réalisation

Le vernissage de l’exposition a eu lieu le 12 mai et, lors de cet événement, toutes les productions qui y étaient liées (présentation de 124 rephotographies, livres, livrets, cartes postales et panneaux extérieurs) ont été présentées.

Mon premier travail a été de récolter un maximum de photos anciennes. Ce n’était pas toujours facile car il a fallu contacter les habitants, leur expliquer le projet, les convaincre de nous prêter leurs photos pour que nous puissions les numériser, bref, établir un lien de confiance avec eux. Heureusement, je vis dans la commune de Beckerich depuis près de quarante ans et je travaille pour l’asbl d’Millen depuis 2007. Les habitants me connaissent et ils m’ont fait confiance. Au total, plus de 1000 photos ont été collectées. La plupart a été resitué dans le paysage actuel et de nombreuses personnes ont été identifiées grâce aux explications de certains villageois, ce qui m’a permis d’écrire les légendes de toutes les rephotographies publiées.

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La deuxième étape de mon travail fut la numérisation longue et fastidieuse de ces documents anciens aujourd’hui conservés dans la toute nouvelle médiathèque communale.  

Au fur et à mesure de l’avancement de notre projet, je suis également devenue la cheville ouvrière des contacts avec l’Oeuvre d’abord puis avec la Commune et ses différents services et avec toutes les entreprises qui ont participé à notre projet. Sans oublier la collaboration très active avec Francis Filbig qui a traduit toutes nos publications en luxembourgeois. 

Le travail de Philippe Malaise ne fut pas moins intense. La première phase de son travail fut d’aller sur place pour retrouver les endroits exacts et réaliser une prise de vue à partir du même endroit et avec le même angle que ceux adoptés par le photographe du passé. Entreprise bien difficile car les routes sont bien plus fréquentées de nos jours, il y a beaucoup de mobilier urbain, bien plus d’arbres aussi, des haies, des propriétés privées, des constructions… Que de fois, Philippe a dû s’adapter et, parfois même, renoncer à prendre une photo.

Le village est un monde

Philippe Malaise, photographe

Rentré chez lui, le travail s’est poursuivi sur son ordinateur où, patiemment, il a combiné la vue ancienne avec la nouvelle afin d’obtenir le montage voulu. Au total, des heures incalculables de travail minutieux.

Simultanément, Philippe a également réalisé la conception et la mise en page du livre, des brochures et des cartes postales et la merveilleuse scénographie de l’exposition. Un travail incroyable.

Notre initiative a d’abord été accueillie timidement par les habitants lorsqu’ils ont entendu parler du projet. Mais lorsqu’ils ont découvert les montages, leur enthousiasme a explosé. Le bouche à oreille a tellement bien fonctionné dans la commune qu’il a drainé plus de 500 personnes durant l’exposition. Et aujourd’hui, grâce à ce projet, on me contacte à nouveau pour m’apporter des photos anciennes. Mais, comme le dit Philippe, « il y a eu aussi beaucoup d’émotion dans les rencontres sur le terrain avec des gens qui me renseignaient. Comme ce monsieur âgé qui me dit « C’est mon père » en me montrant sur une photo des années 1930 un garçonnet d’à peine dix ans. Quel choc, ces temps qui se télescopent ».

Objectif

Philippe Malaise a merveilleusement défini l’objectif de notre projet. Je lui laisse donc la parole : « Nous souhaitons faire passer le message que ces femmes et ces hommes du passé, ces bâtiments, même détruits, même transformés, ces traditions… Tout est encore là dans notre présent même si c’est en filigrane. Trop souvent, on pense que l’on commence à partir de rien, mais les rephotographies montrent que ce n’est pas le cas. Nous ne construisons que sur ce qui a déjà été construit, nous ne vivons que ce qui a déjà été vécu. »

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D’ailleurs, ne faisons-nous pas les mêmes choses qu’avant ? Nous construisons des maisons et nous y vivons, nous circulons, nous travaillons, nous nous détendons et nous distrayons, nous célébrons des fêtes, nos enfants jouent et vont à l’école… Seules les modalités ont changé.

Nous ferons plus tard les mêmes choses, différemment sans doute si les indicateurs climatiques et économiques que l’on voit poindre à l’horizon révèlent leur augure.

Les photographies anciennes collectées composent une mémoire collective importante. Elles peuvent conduire à un respect du patrimoine ancien. Avec ce projet nous espérons faire prendre conscience à la population qu’il faut sauvegarder les anciens documents et non pas les jeter ou les brûler. Certes, ils sont les témoins d’un temps révolu mais ils font pourtant partie des racines de notre société.

Ce travail, par l’émotion universelle qu’il génère, peut contribuer à un meilleur sentiment d’appartenance et faire en sorte que les gens se sentent plus proches les uns des autres. Avec les mouvements actuels de la population au Luxembourg, avec les nouveaux arrivants luxembourgeois ou étrangers dans les villages, ce sentiment d’appartenance est souvent mis à l’épreuve. Il en va de même avec l’écart énorme que la technologie a créé entre les générations. Avec cette initiative, nous espérons donc pouvoir favoriser les relations intergénérationnelles ainsi que celles entre les résidents de longue date et les nouveaux arrivants.

De mon côté, j’envisage de continuer à collecter et à numériser les anciennes photos pour alimenter la médiathèque communale et favoriser une collaboration étroite avec la Bibliothèque Nationale.

www.dmillen.lu

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